Claude Monet: En pleine lumière
A l'occasion du dernier jour de l'exposition "Claude Monet: en pleine lumière" présentée cet été au Grimaldi Forum de Monaco, j'ai décidé de partager avec mes lecteurs une sélection des œuvres que j'ai préférées durant mon parcours dans cet univers fabuleux, parfaitement restitué dans une scénographie qualitative et originale.
L'exposition retrace l'ensemble du parcours du peintre, depuis les premières années, la rencontre avec Eugène Boudin, jusqu'aux nymphéas de Giverny, où Claude Monet s'installe à partir de 1883.
Parmi les plus de cent tableaux présentés, il me fut très difficile de faire un choix ! Je vous en commente quatorze qui me touchent particulièrement.
Canotiers à Argenteuil

En 1874, Claude Monet habite Argenteuil avec sa femme Camille et leur fils Jean.

Il reçoit souvent ses amis de l'atelier Gleyre où il fit ses débuts. Ainsi, Pierre-Auguste Renoir et Alfred Sisley lui rendent fréquemment visite. Ensemble, il leur arrive d'aller peindre le même motif. Comme il l'avaient fait pour les bains de la Grenouillère en 1869, Monet et Re-
noir installent leur chevalet sur les bords de la Seine à Argenteuil.
Même bateau, même ponton, et un traitement néanmoins différent. En arrière-plan, Monet opte pour une course d'avirons, alors que Renoir préfère les régates de voiliers. Le rendu de la lumière et des reflets est pour Monet un sujet permanent d'étude. Il y travaille "à force" comme il aime à le dire. Déjà, les formes jaillissent chez lui d'une combinaison audacieuse entre lumière et couleurs.
Cabane à Sainte-Adresse

Sept ans auparavant, Claude Monet peindra une cabane à Sainte-Adresse, non loin de la maison occupée par sa tante Lecadre. Le rendu des paysages normands où transparait, du moins au début, l'influence d'Eugène Boudin dans l'exposé de la perspective et de la couleur est un thème récurrent chez Monet, qui se rendra plusieurs fois sur la côte pour en saisir une nature sauvage aux couleurs éclatantes.

Un motif similaire peint en 1882 montre toute la progression de Monet en maturité, par un rendu beaucoup plus précis, utilisant les fondus de couleurs à même la toile, plutôt que de les préparer sur la palette... la cabane de douaniers à Pourville est posée sur une avancée de la falaise, dont on pourrait effriter à la main les mottes d'une terre ravinée couverte d'une rare végétation résistant à l'assaut du vent...
Chemin dans les blés à Pourville

Et puisque nous sommes à Pourville, laissons-nous entraîner par ce chemin qui descend vers la mer, au milieu des blés prêts à être moissonnés. L'audacieux contraste entre l'ocre-rouge des épis et le bleu intense de la mer sous un ciel gonflé de cumulus donne à ce tableau un incroyable relief.
Effet d'hiver à Argenteuil

Dans le registre des rigueurs du climat, Claude Monet est passé maître pour traduire l'atmosphère blafarde et ouatés d'un paysage enneigé. Ainsi, cette vue d'Argenteuil, exécutée 6 ans après la très fameuse pie, captée, elle à Etretat.
L'inondation

Après la neige, la pluie et le déchaînement des flots d'une Seine qui passe par dessus la plaine de Lavacourt avec, au fond, les coteaux de Vétheuil où Monet a habité entre 1878 et 1881. Les averses sont rendues par des traits obliques qui viennent battre les flots aiguisés comme des rasoirs...
Bateaux de pêche

Claude Monet était un peintre de marines exceptionnel, comme en témoigne ces bateaux de pêche qui contemplent des flots agités, sous un horizon placé très haut. L'immensité de la mer qui occupe les deux-tiers de l'espace, la fragile placidité des personnages confèrent à cette toile un incroyable réalisme...
Strada romana a Bordighera

À peine installé à Giverny, Claude Monet part une première fois sur la côte méditerranéenne en décembre 1883, en compagnie de son ami Renoir. Il est tellement enthousiasmé par la végétation et la lumière qu'il y trouve, qu'il décide d'y retourner, seul cette fois, dès le 17 janvier 1884 pour un séjour d'étude entièrement financé par son galeriste Durand-Ruel.
Laissant à Giverny Alice et les 8 enfants de leur famille recomposée, il part pour ce qui devait être initialement une absence de trois semaines qui a finalement duré trois mois. Sur place, il s'installe à Bordighera, dans la "pension anglaise". Il y peindra plusieurs vues de la voie romaine qui descend vers la vallée. Il faudra à Monet plusieurs semaines et un travail soutenu pour arriver enfin à accrocher le foisonnement d'une végétation qui n'avait rien à voir avec sa campagne normande...
Le château et le pont de Dolce Aqua

Monet disait de ce pont qu'il était un "bijou de légèreté" ! D'une portée de trente mètres, surplombant la rivière de dix mètres, le pont de Dolce Aqua est situé en contrebas du château éponyme. Monet s'est rendu au moins trois fois à Dolce Aqua pendant son séjour à Bordighera.
Bois d'oliviers au jardin Moreno

Après plusieurs tentatives pour avoir accès au jardin Moreno, Claude Monet obtient enfin l'autorisation de pénétrer et de peindre dans ce lieu magique qui borde le Borgo. Le 5 février 1884, il est reçu par Francesco Moreno et il découvre - ce sont ses mots - une véritable féérie. Il y peindra de nombreuses toiles, dont plusieurs études autour de l'olivier. Le pailletage des rayons du soleil entre les branches et les feuilles de ces arbres vénérables est un véritable tour de force.
En canot sur l'Epte

Installé à Giverny à partir de 1883, Claude Monet n'aura de cesse que d'étendre et de préserver une nature qu'il a souhaité façonner à son regard. Il échange des conseils de jardinage avec Gustave Caillebotte, et crée un univers qui, peu à peu, constituera sa principale source d'inspiration, hormis les séjours qu'il continuera d'effectuer en Normandie, en Norvège, dans la Creuse ou encore à Londres. Le cadrage particulier de ses belles-filles Suzanne et Blanche en canot sur l'Epte laisse à la rame le soin de partager l'œuvre dans une diagonale qui accentue l'impression de mouvement déjà initiée par le fait que le canot n'est pas représenté en entier sur la toile.

Alors qu'il avait commencé de concevoir son jardin de Giverny par amour des fleurs, et qu'il y avait fait apporter des nymphéas dans son étang pour la même raison, Claude Monet va peu à peu transformer ces étendues d'eau calme ponctuées de fleurs en sujet principal de sa palette.

Monet peindra près de trois cents toiles représentant des nymphéas, dont quarante de grand format, y compris ses "décorations" présentées au Musée de l'Orangerie des Tuileries, et offertes par le peintre à l'État en célébration de la victoire de 1918.

Nous achèverons ce périple par une vue presqu'abstraite de la maison de Giverny, qui émerge d'une végétation aux couleurs irréelles, telles que les voyait Monet, qui avait accepté que son œil droit, devenu presque aveugle, soit opéré de la cataracte en 1923, sous l'insistance de son grand ami Georges Clemenceau.

Dans ses conférences d'histoire de l'art, Fabrice Roy conjugue le passé au présent, dans une évocation poétique et ludique du 19ème siècle français...