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Le luxembourg

Papa et moi allions souvent au jardin du Luxembourg. D’abord, parce qu’on pouvait y aller à pied (ce n’est pas très loin de l’avenue des Gobelins), ensuite parce que nous aimions ce parc avec ses statues vert-de-grisées, ses fontaines aux tritons dans leur pataugeoire, son bassin central où des générations de jeunes en culottes courtes poussaient des voiliers en bois avec des bâtons, et pleuraient quand l’un d’entre eux restait coincé au milieu, submergé par le jet central.

Charles Courtney Curran (1861-1942). Élégante du Jardin du Luxembourg devant le lion de Nubie (1889). Terra Foundation for American Art.
Charles Courtney Curran (1861-1942). Élégante du Jardin du Luxembourg devant le lion de Nubie (1889). Terra Foundation for American Art.

Papa et moi, donc, allions souvent au jardin du Luxembourg. Il y avait Guignol, dans son théâtre aux murs peints en vert, les tennis en poussière battue où, des années plus tard, je ferraillais contre mon pote Stéphane (il était blond comme Borg, je suis brun comme Vilas), les chaisières à l’affut de culs posés à la resquille, et le manège…

Manège au jardin du Luxembourg. Jacques Trecour.
Manège au jardin du Luxembourg. Jacques Trecour.

… le manège. Je m’en souviens l’hiver. Habillé de mon petit manteau bleu, perché sur l’un des chevaux ligneux, je tenais fièrement une baguette à l’horizontale. Avant le signal du départ, un employé allait charger un sabot suspendu sur le côté avec des anneaux de ferraille. Le but du jeu était, à chaque passage, d’attraper un anneau et de le faire glisser le long de la baguette. A la fin du tour, on comptait les anneaux et celui qui en avait le plus gagnait un lot charmant.

Albert Edelfelt (1854-1905). L’enfant au cerceau et sa nurse au Jardin du Luxembourg (1887). Ateneum Taidemuseo Helsinki (Finlande).
Albert Edelfelt (1854-1905). L’enfant au cerceau et sa nurse au Jardin du Luxembourg (1887). Ateneum Taidemuseo Helsinki (Finlande).

J’étais assez doué à ce jeu. Mes joues étaient rouges sous la bise de décembre. Je regardais mon père qui me souriait. Je lui montrais mes trophées dérisoires et il m’encourageait comme si j’avais accompli un glorieux fait d’armes.

Puis, je descendais de cheval comme un guerrier tartare des steppes. Là, j’allais me blottir dans ses bras, ceux-la qui me manquent tant, encore aujourd’hui, quarante et un ans après son départ.

Le Luxembourg, ce jardin si cher à mon coeur…


(c) Fabrice Roy 2022



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