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Les femmes à leur fenêtre

Qu'est ce qu'une fenêtre sur une toile, sinon un tableau dans un tableau ? Un cadre dans lequel s'inscrit une perspective, un paysage, une scène ou tout simplement rien de précis. Et lorsqu'une femme regarde par cette ouverture, à contre-jour, le dos tourné au spectateur, le mystère prend corps. que regarde-t-elle ? Que vient-il de se passer ? Désir d'évasion ou, au contraire, satisfaction d'être chez soi, à l'abri ?

C'est le secret que nous allons essayer de percer au travers des tableaux de Caspar David Friedrich, de Fritz von Uhde, d'Antoine Bourdelle, de Salvador Dali.

Caspar David Friedrich. Femme à la fenêtre. 1922. Alte Nationalgalerie Berlin
Caspar David Friedrich. Femme à la fenêtre. 1922. Alte Nationalgalerie Berlin

Figure du romantisme allemand, Caspar David Friedrich (1774-1840) est surtout connu pour son voyageur contemplant une mer de nuages. Ce personnage, dos tourné face à des sommets déchiquetés émergeant d'une brume cotonneuse est devenu l'archétype de l'homme faisant l'expérience du caractère insondable de son existence.

La femme à la fenêtre nous tourne également le dos. Placée dans une semi-pénombre devant le rebord où se trouvent deux flacons, on ne sait trop ce qu'elle fait, ses avant-bras et ses mains étant invisibles. Lit-elle une lettre ? Est-elle simplement appuyée ? Fait-elle signe à quelqu'un ? Au dehors, la présence d'un mat trahit un bateau, cependant que l'horizon est barré d'une haie d'arbres à peine esquissés. Le ciel est observé à travers la croisée de vitres placées au-dessus de la fenêtre, ce qui peut laisser penser que nous nous trouvons dans un atelier. L'omniprésence des tons de vert, qu'il s'agisse de la robe de la jeune femme, des murs ou de la végétation donne à ce tableau une note d'angoisse, accentuée par le décalage du point de vue de l'observateur par rapport au sujet. En effet, nous ne trouvons pas dans l'axe de la fenêtre, ainsi qu'en atteste la direction des lattes du parquet. La mise en espace singulière du tableau nous force à y pénétrer, non pas comme un spectateur mais comme l'acteur d'une scène dont le sens lui échappe.

Fritz von Uhde . Jeune fille à la fenêtre. 1890. Städelmuseum Frankfurt
Fritz von Uhde . Jeune fille à la fenêtre. 1890. Städelmuseum Frankfurt

Élevé dans un strict protestantisme, influencé par Bastien-Lepage, Fritz von Uhde (1848-1911) se lie avec Max Liebermann. Son approche initiale naturaliste progresse vers un style beaucoup plus personnel dans l'emploi de touches à la fois légères et précises qui trouvent leur unité dans la couleur, à l'image des impressionnistes.

Dans sa "jeune fille à la fenêtre", Fritz von Uhde représente une couturière qui prend une pause. L'ouvrage est en place sur la machine à coudre, posée sur une simple table de bois. La fenêtre donne sur un jardin potager clos de mur et quelques maisons. Un mur sur la gauche barre la moitié de l'espace délimité par l'ouverture, forçant la jeune femme à porter son regard vers la droite. Les mains sont clairement appuyées sur le rebord de la fenêtre. Qu'observe notre héroïne ? Son amoureux est-il en bas, qui lui déclare sa flamme ? Beaucoup plus lumineux que le tableau de Caspar David Friedrich, celui de Fritz von Uhde restitue l'atmosphère sereine d'un après-midi ensoleillé.

Antoine Bourdelle. Femme à la fenêtre. Musée Antoine Bourdelle
Antoine Bourdelle. Femme à la fenêtre. Musée Antoine Bourdelle

La célébrité d'Antoine Bourdelle (1861-1929) en tant que sculpteur a été telle, qu'elle a presque éclipsé la production picturale de cet élève surdoué d'Auguste Rodin.

Sur ce tableau, une femme, encore de dos, semble accoudée à la rambarde d'une fenêtre qui laisse apercevoir un bâtiment dont le mur de briques trahit probablement l'état d'usine. Des pots de fleur donnent une touche élégante à l'ensemble. Comme dans les tableaux de Friedrich et de Uhde, on ignore ce que contemple le personnage, en léger retrait devant une fenêtre démesurément grande, à tel point que le haut de celle-ci est hors des limites du tableau. On notera la précision du reflet de la jeune femme sur la vitre de droite.

Salvador Dali. Femme à la fenêtre. 1925. Musée National Reina Sofia
Salvador Dali. Femme à la fenêtre. 1925. Musée National Reina Sofia

Dans les années 1920, avant de rencontrer Gala, Salvador Dali (1904-1989) a très souvent peint sa sœur Ana Maria.

Dans ce tableau de 1925, Ana Maria est âgée de 17 ans. A nouveau, elle est représentée de dos, accoudée au rebord de la fenêtre et semblant plongée dans ses pensées. Devant-elle, le paysage est plus qu'esquissé. On distingue très nettement la mer (la scène se situe à Cadaquès), un voilier, puis, au fond, des collines, une plage, une route relativement détaillé. Les différentes nuances de bleu et d'ocre utilisées dans ce tableau témoignent du génie pictural de Dali, dont Ana-Maria disait: "En effet, Salvador me peignait toujours devant une fenêtre...)


Dans ses conférences d'histoire de l'art, Fabrice Roy conjugue le passé au présent, dans une évocation poétique et ludique du 19ème siècle français...



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