Madame Talon

Elle avait un visage poupin presque toujours surmonté d’un petit chapeau cloche piqué d’un muguet en plastique. Madame Talon avait toujours de la peine à grimper les trois étages de l’escalier A. C’était une forte dame, toujours pomponnée. Lorsqu’elle se promenait aux côtés de monsieur Talon, on aurait dit l’alliance du potiron et de la feuille de ciboulette.
Madame Talon n’était pas n’importe qui. Elle était organiste dans une église célèbre de Paris. Je ne l’ai jamais entendu jouer mais j’imaginais ses doigts courir sur les claviers en triple menton pendant que ses courtes jambes atteignaient le pédalier par un miracle de volonté.
Un midi, une cacophonie épouvantable jaillit de son appartement. On aurait dit un remake du jour le plus long avec mitraillages et bombardements. Nous, qui habitions au dessus, suivions avec angoisse la progression des éclatements, ces bings rocambolesques qui tictaquaient sur le carrelage en cliquetis craquelés. Nous eumes le fin mot de l’histoire quand, le soir venu, nous apprîmes que madame Talon avait sans doute quelque peu forcé en ouvrant son armoire de cuisine, ce qui eut pour effet de la décrocher du mur (l’armoire, pas madame Talon). Alors, pendant quelques minutes, cette pauvre femme s’était retrouvée à porter à bout de bras le meuble vicieux qui, aussitôt, avait commencé de vomir son contenu par toutes ses portes. Dans un ordre parfait, les tasses, les verres, les soucoupes, les assiettes, la moutarde, le sucre, le café, le caramel liquide, les casseroles, une poêle ou deux, avaient dégringolé en rebondissant sur la tête de madame Talon pour aller se vautrer un peu plus bas en fulgurances puzzlesques, colorées et odorantes.
Puis, plus rien
Pfff… pardon. Aujourd’hui, j’en rigole encore. Je sais, je devrais pas. Je sais aussi que je l’aimais beaucoup, Madame Talon, parce que la gentillesse, c’était son truc à elle. C’est pour ça aussi que Monsieur Talon, il l’aimait plus que tout au monde.
Fabrice Roy