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Dernier jour

C’est son dernier jour. Ce matin, Michel Le Bihan est monté encore une fois en haut de la tour. A cinq heures et demie, il fait encore très sombre. Avec un bruit de frottement magnétique, l’énorme lentille de Fresnel découpe la nuit à grands jets de lumière blanche.

Henri Le Goff. Le phare de l'île Tudy. 2022
Henri Le Goff. Le phare de l'île Tudy. 2022

Un éclat long, deux courts, une pause noire, et on remet ça. Trente mètres plus bas, le scalpel des vagues déchire les roches rouges en éclaboussures d’écume.

Eugène Boudin, Le Phare de Honfleur ?, entre 1854 et 1860, pastel et fusain sur papier lilas, H. 20,3 ; L. 27,5 cm., © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle
Eugène Boudin, Le Phare de Honfleur entre 1854 et 1860, pastel et fusain sur papier lilas, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

Michel est sorti sur la coursive. Même pas envie de fumer. Il est accoudé à la rembarde et regarde l’horizon qui repeint son ciel en vermillon pâle. Dans quelques minutes, le soleil fera son apparition derrière les récifs. C’est son dernier jour. Michel n’est même pas triste, non, ça n’est pas ça. Plutôt une impression de vide léger. Les types du continent qui sont venus installer l’automatisme le mois dernier ne l’ont pas vraiment convaincu. En fait, le phare va devoir se débrouiller tout seul, avec son coeur ailleurs… La lentille va bientôt céder sa place à un gros flash qui va barbouiller l’air dans tous les sens, comme un peintre idiot. Le pinceau de l’artiste qui caressait les vagues ira se faire voir au musée.

Johan Barthold Jongkind. Le phare d'Honfleur. 1864
Johan Barthold Jongkind. Le phare d'Honfleur. 1864. © DR

C’est son dernier jour. Et il se lève, le jour, sur la pointe du fort, sur la colline où la chapelle dont le platre s’écaille finit de mourir, avec son clocher penché dans le sens du vent. Il ne pleut même pas. Michel frotte l’une contre l’autre ses grosses mains qui sentent le sel comme sa gueule de mec à qui on ne la fait pas. Pourtant, il s’en va. – Brav eo an amzer hiziv Le soleil se montre enfin, bien rond, bien souriant. C’est vrai, il fait beau aujourd’hui !


© Musefabe 2007


Dans ses conférences d'histoire de l'art, Fabrice Roy conjugue le passé au présent, dans une évocation poétique et ludique du 19ème siècle français...



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