Gustave... 1883
Manet nous a quittés il y a sept mois. Une grande sensation de vide. On est tous orphelins. Il disait: " Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs... ". Et bien il avait raison et j'ajouterai: " Un peintre peut tout dire avec la lumière et les couleurs ".
Aujourd'hui, j'ai terminé une toile de bonnes dimensions: " Promenade à Argenteuil ". J'avais fait un rapide croquis l'été dernier. Un vent léger faisait frémir les arbres, le ciel était sans nuage.

Sur la place, devant la clôture de la buvette, j'ai fait rapidement poser Charlotte, avec son ombrelle.
Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs ! L'année dernière, j'ai peint un plat de pêches. Invitation à succomber à la tentation ! Mes douze pêches attendent leur bourreau comme des apôtres résignés. Des apôtres dodus, à la peau de velours, aux couleurs du couchant. Manet les aurait peintes autrement, j'en suis certain.

Manet, j'ai vu ses fraises dans leur panier d'osier. Nom de nom, ce coup de pinceau ! La précision extrême dans le rendu, avec cette fausse modestie de la brosse qui te livre le fruit sans en avoir l'air, à grands traits, blotti dans son écrin.


Nature morte... Le terme est curieux, d'ailleurs. Les anglais disent " Still life " - vie calme. Les allemands " Stillleben ". Quoi de plus vivant que ce panier de fraises, fraîchement cueillies ?
Ce matin, j'ai complété le testament que j'ai déposé en 1876. J'ai ajouté Charlotte et ma filleule Jenny. Et puis mon frère Martial, je lui donne la pleine propriété de tout ce que nous possédons en commun, en plus de ce qui lui revient légalement.
© Fabrice Roy. Journal apocryphe de Gustave. 2023
Dans ses conférences d'histoire de l'art, Fabrice Roy conjugue le passé au présent, dans une évocation poétique et ludique du 19ème siècle français...