Élève de Lecoq de Boisbaudran, influencé à ses débuts par Gustave Courbet, Alphonse Legros se fixe en Angleterre où il accueillera pendant la guerre de 1870 ses compatriotes Camille Pissarro et Claude Monet. Il participera à la deuxième exposition impressionniste de 1876 chez Durand-Ruel. Nommé professeur à la Slade School de Londres, il incitera ses élèves à exercer leur mémoire visuelle et à avoir sur eux en permanence un carnet d'esquisses.
Alphonse Legros est de la génération de 1863, l'année du Salon des Refusés où il présente ce portrait de son ami Édouard Manet, que nous allons étudier de plus près.
Le tableau est de dimension assez modeste. Il mesure 61,5 cm de haut pour 50 cm de large. Sur le chassis est inscrit: "Alphonse Legros né en 1837, élève de Lecoq de Boisbaudran a peint le portrait de Manet en 1863".
A cette date, Édouard Manet a 31 ans et sa peinture foisonne de références hispaniques, à l'image des tableaux présentés au Salon des Refusés, "Jeune homme en costume de majo" et " Mlle V. en costume d'espada".
Sur la toile de Legros, Manet figure assis dans un fauteuil tendu de velours rouge, les jambes croisées, dans un costume sombre d'une sobre élégance. L'endroit de la pièce où se trouve le peintre est vide, à l'exception du tableau accroché derrière lui, et qui représente le "Chanteur espagnol", peint par Manet en 1860.
On devine au fond de la toile la base d'un autre tableau dont il est impossible de deviner le sujet. La composition s'articule de part et d'autre d'une diagonale qui joint le bord supérieur gauche et le bord inférieur droit en suivant la jambe droite de Manet et en passant par la main du guitariste, ce qui inscrit le modèle dans un triangle.
Le traitement de l'arrière-plan aux tons rouge sombre met en valeur le visage et les mains de Manet, l'une posée sur l'accoudoir et tenant un mouchoir, l'autre soutenant la tête de l'artiste. Le tableau, sévèrement endommagé, a fait l'objet de plusieurs restaurations.
Si Édouard Manet savait remarquablement dépeindre les mœurs de son époque, il était aussi un maître du portrait. Seuls deux de ses autoportraits à l'huile subsistent.
Dans l'autoportrait à la palette, Édouard Manet a 16 ans de plus que dans le tableau d'Alphonse Legros. La sérénité souriante s'est transformée en un questionnement profond sur la trace que le peintre laissera à la postérité, dans l'affirmation de son art martelée par la palette et les brosses. L'univers ocre-vert, la main gauche à peine esquissée, l'élégance de la tenue de travail soulignent a merveille la personnalité du peintre, qui n'avait plus que quatre ans à vivre.
Dans ses conférences d'histoire de l'art, Fabrice Roy conjugue le passé au présent, dans une évocation poétique et ludique du 19ème siècle français...
